Piste de Tounfit, le 7/12/1941

				Petit frère ,

			Je ne t' écris que de loin en loin mais sans doute tu comprends pourquoi .
		Je suis maintenant installé  avec ma section sur les pentes du Djebel Aïachi, mon bivouac est à 2100m ou 
	un peu plus , mais la montagne monte jusqu' à 3750m . Mes tentes sont à une centaine de mètres de la neige près d' une
	 source magnifique . Je n' ai là que ma section et un détachement de muletiers avec leurs brêles .
  
		C' est vraiment magnifique, je suis Dieu le père Tout Puissant pour ma section : Je coupe le bois car 
	c' est ma mission ici,  j' organise le bivouac, je veille au ravitaillement, j' assure tous les services même celui du Toubib
	puisque c' est moi  qui passe la visite aux quelques rares malades : rhumes, bronchites, blessures aux pieds ou 
	aux mains .... etc .

		Mon petit détachement est le lieu de visite pour les officiers du Bataillon qui sont à Midelt à 20 km d' ici . 
	J' ai reçu successivement le Capitaine Tatin, le Capitaine Guillaume .... simple repas servi sur une roche plate et 
	arrosé d' eau claire car trois fois de suite on a apporté le ravitaillement sans penser au vin des Français .

		Le pays est magnifique derrière mes tentes la montagne avec ses rochers, ses falaises ses neiges, 
	ses glaces et ses escarpements ; devant toute la vallée de la Haute Moulouja je vois jusqu' au Moyen Atlas,
	 les nuages défilent devant moi par le côté et souvent le matin toute la vallée est dans une immense mer de nuages 
	alors qu' en plein soleil je regarde cet océan blanc qui ne laisse que les iles formées par mes montagnes .

		Il parait que je resterai ici jusqu' au début de janvier c' est magnifique, je rêve de ce Noël que j' aurai avec 
	les Français : Quelques bûches flambantes, le vent remuant mollement les touffes d' alfa et quatre hommes enveloppés
	 dans les grandes couvertures et regardant le feu brûler dans le grand silence qu' ils sont seuls à troubler .

		Oh sans doute il fait froid ! moins dix sans compter le vent qui vous coupe le visage mais cela seulement
	la nuit, le jour le soleil marocain donne avec toute sa force . La nuit sous la toile on ne sait plus où se mettre, je me 
	prends les pieds dans les mains pour les réchauffer ou je me relève pour aller autour du feu .
		Malgré tout la vie est magnifique .

		                 Je t' embrasse petit frère que j' aime . 

		                 ROGER

		7ème RIM - 8ème Cie - Midelt - Maroc . 


	
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